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Le quai Bourbon

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    Madeleine
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Epargnons à l'ami lecteur, comme d'habitude, la peine de consulter lui-même, en ce qui regarde le quai Bourbon, les 150 plans de Paris dont nos doigts usent les angles et les plis, mais dont les incessantes consultations ne ménagent pas nos yeux davantage. En 1609, d'après le plan de Quesnel, tout serait paysage sans fabrique dans l'ile Notre-Dame et dans l'ile aux Vaches, et nous pourrions y contredire, le désert n'étant pas complet à cette époque dans ces deux campagnes flottantes qui semblent à la remorque d'un immense vaisseau, la Cité. La seconde appartient, comme la première, au chapitre de l'église de Paris ; elles n'en sont pas moins abordables aux canotiers et aux baigneurs d'alors. Marie, Le Regrattier et Poulletier lancent l'amarre d'une grande spéculation qui met les deux iles bout à bout, pour en faire un quartier superbe de la capitale : l'île Saint-Louis. Quant au canal qui, même de nos jours, la sépare de la Cité, il fut convenu entre le roi et le chapitre, en l'an née 1642, qu'il ne serait jamais comblé. A cette condition expresse, les chanoines cédaient moyennant 50,000 livres à Louis XIII, touchant à sa fin, l’ile sur laquelle leurs droits n'étaient pas sans contestation ; celle-ci devait déjà, depuis la mort de Henri IV, assez de valeur au morcellement de son terrain, où les belles maisons commençaient à être moins rares que les bicoques, pour suppor ier allégrement la levée des susdites 50,000 livres, à raison de 50 sols par toise.

Le 3 quai Bourbon par Eugène Atget vers 1900

Du pont Marie, où commence notre quai, la première pierre avait été posée le 11 octobre 1614 par le même roi, alors enfant, et par Marie de Médicis, en présence de Miron, le prévòt des marchands, et d'une foule considérable. Les trois entrepreneurs des quais, rues et ponts de l’ile, Marie, Poulletier et Le Regraitier, avaient été surpris par une crûe de dépenses tellement au-dessus de l'étiage de leurs ressources qu'elle avait entraîné l'interruption des travaux. Jean de Lagrange, secrétaire du roi, qui en avait pris la suite en 1623, avait obtenu le droit d'établir un bain, un jeu de paume, douze étaux de boucher, des bateaux de lavandières, ainsi que des galeries d'étages latéraux sur le pont des Tournelles, dont la construction lui fut due, et sur le pont Marie, auquel cette surcharge permit de devenir le centre du commerce des pierres précieuses, Lagrange présida aussi à l'établissement du pont de bois reliant le quai Bourbon tout neuf au vieux quartier de Saint-Landry, dans la Cité. De nouveaux tiraillements permettaient néanmoins à Marie et à ses deux associés de ressaisir les rênes de l'entreprise et d'y courir les chances de nouveaux procès, d'une part avec les chanoines et d'autre part avec les insulaires mécontents, qui s'étaient réunis sous la conduite d'Hébert, l'un d'eux. Leurs démêlés se prolongèrent tant que le cardinal de Richelieu vécut. Ce ministre, dont la politique ne voyait pas moins clair à l'étranger que sa police en France, laissait flotter la petite ville naissante que lui cachaient les tours de Notre-Dame. La compagnie financière, qui elle-même nageait entre deux eaux, s'enfonça de nouveau, mais pour ne plus remonter. L'année même de la mort du roi, Hébert et des syndics, représentant les habitants de l'ile, parvenaient, en assumant toutes les obligations relatives, à être subrogés à Marie, ainsi qu'à Lagrange, dans tous leurs droits, parmi lesquels figuraient 12 deniers de rente dus pour soixante années par chaque toise de terrain concédé.

Sur le plan en relief de Gomboust (1652) une légende particulière accompagne un seul des hôtels du quai dont nous parlons, et la voici : M. de Charron. L'objet en paraît être à égale distance de la rue des Deux -Ponts et de la rue de la Femme-sans-Tête, autrefois Regrattière, et maintenant Le Regrattier ; seulement Nolin, contemporain de Gomboust, case l'hôtel dont il s'agit un peu plus près du pont Marie, En tenant compte des modifications qu'ont dù subir depuis l'élévation, la distribution et les dépendances, messire Claude le Charron, seigneur de Villemaréchal, se reconnaîtrait au n° 15, belle maison à mascarons, dont dépend le 13. Une qua rantaine d'années avant la substitution des pierres du quai Bourbon à la verdure battue du bord de l'eau, le prévôt des marchands était de la famille de ce conseiller d'Etat, intendant des finances, ancien conseiller au parlement de Paris, qui avait épousé en secondes noces Françoise Garin, fille d'un magistrat, pour en avoir jusqu'à sept enfants, entre autres une abbesse de Panthemont. Au commencement du règne suivant, l'hôtel Charron était entre les mains de François-Louis-Philippe-Jacques de Vitry. L'énumération des maisons et des lanternes du quai Bourbon donnait alors : 33, 10.

Une façade à trois frontons et un joli balcon signalent à notre attention quelques portes plus bas l'ancienne résidence d'un magistrat du XVIIe siècle. Beau plumage et belle envergure! Mais un hôtel de la première volée n'est pas un oiseau rare dans l'ile Saint-Louis. Notre épo que n'en vient-elle pas à trouver de telles maisons trop grandes ? On en donnerait gratis qu'on ne trouverait plus personne pour y vivre şans mettre à la porte des écriteaux d'appartements à louer. Celle-ci montre, au-delà de sa large cour, quelques arbres éloignés du bruit qui ont été plantés quand Nicolas de Jassaud, maître des requêtes, faisait jeter ses fondements, peu de temps après que le grand siècle fût entré dans sa seconde moitié et dans son apogée. L'un des fils de ce fondateur n'a pas manqué de voir le régent, car il était exempt de ses gardes du-corps ; Guillaume, autre fils de Nicolas, a rempli les fonctious de conseiller en la grand' chambre dès 1681, et est mort trente - sept ans plus tard, laissant pour fils aîné Pierre-Guillaume, lui-même conseiller en 1722. Des chevaliers, membres de cette famille, se qualifiaient, au XVIIIe siècle, seigneurs de Boischantel, de Bornanville, etc., plus volontiers qu'ils ne portaient leur nom patronymique.

Mais un Jassaud, seigneur d'Arquinvilliers, s'était rendu locataire en 1692 d'une autre maison sur le quai, touchant aussi, ou il s'en fallait de peu, à la rue de la Femme-sans-Tête, et il y a payé assez longtemps 1,450 livres de loyer, Aussi, d'après une carte topographique, deux propriétés, qu'une seule autre séparait sur le quai, portaient elles le nom de ladite famille, et alors M. d'Apogny, ou d'Appoigny, en avait une près la rue des Deux-Ponts.

La seconde maison Jassaud, quoique la première ait toujours tenu plus de place, s'est divisée en deux ou trois logis d'autant plus aisément qu'il y a eu trois portes, deux sur le quai et une sur la rue, dont la clef ne coûtait que 300 livres par année au locataire qui avait pour voisin M. Jassaud d'Arquinvilliers. Mais pourquoi ne pas remonter à l'origine de cette trinité locative ? D'abord, en l'année 1620, Marie et consorts vendent le sol à Forestier, maître-tailleur ; sa veuve, vingt ans après, y a pour successeur son gendre Chabas, lequel propriétaire a pour tenants : d'une part Guillaud, marchand de bois, d'autre part Me Gayant, procureur au Châtelet, et Lhuillier, maître des comptes, et d'un bout par-derrière Auger, charpentier de bateaux. Rangé sous la censive du roi, le lot dont il s'agit demeure, en outre, grevé des 12 deniers par toise de rente temporaire dont toutes les places à bâtir ont été chargées au profit des suzerains de la spéculation insulaire, Poulletier, Le Regrattier, Marie ; mais cette rente est due à MM. du chapitre de Notre-Dame, par suite d'arrangements nouveaux, lorsque le sieur Chabas transmet à titre d'échange la même portion de terre à messire Nicolas Gaillard, qui enfin fait bâtir l'hôtel, et qui, d'ailleurs, a acheté de Sarrus, un conseiller au parlement, 211 autres toises 15,825 livres. L'an 1653, Gaillard marie son fils et lui donne la maison, avec sa position de conseiller du roi, auditeur en la chambre des comptes, qui a coûté 72,000 livres ; Mlle Cousinet, de son côté, apporte en dot 62,000 livres, espèces ne demandant qu'à trébucher. Devenu seigneur de Pommeray, que sais-je encore ! le jeune Gaillard résigne avant peu sa charge d'auditeur, sans se résigner davantage à celle d'époux irréprochable. Neuť années d'exercice suffisent, en revanche, à la patience conjugale de Mlle Cousinet, et elle obtient judiciairement cette séparation de corps qui entraîne toujours la séparation des biens, et ces deux-là font du moins bon ménage. Bien que les créanciers de Pommeray se lancent dans la procédure après sa mort, la propriété répond des reprises de la veuve, qui la lègue à son second mari, Thomas, sieur de la Tour, et ce dernier se remarie lui même avec dame Geneviève de Thibert, déjà veuve de Lacour, un des marchands de vin de Louis XIV. En fallait -il donc plus que ce divorce, suivi de trois ou quatre veuvages qui y ressemblent, pour que l'immeuble passant de main en main procédât, presque de lui-même, à sa propre sortie d'indivision ? Outre que les infractions du premier lit: ont bien pu écorner l'hôtel, tout apport, à force d'être couché dans les contrats, s'use en vertu de la même loi que la vigueur d'un homme trop longtemps alité, et il s'en évapore chaque fois quelque chose, outre ce qui se noie dans l'écritoire des notaires. Peut-on, d'ailleurs, reprocher à des veuves d'avoir aidé à fractionner ce que, faute de temps, Gaillard de Pommeray n'avait pas dissipé de l'héritage paternel ? Toute veuve se morcelle elle-même en convolant. Aussi bien les deux ou trois lots de la maison sont réunis postérieurement par Nicolas Poulet, secrétaire du roi, lequel a pour acquéreur, vers la fin du XVIIe siècle, Jean Le Boulenger, maître en la chambre des comptes. Cappelet, maître en la même chambre, occupe déjà ſ'aile de la maison qui fait coin de rue, lorsqu'il achète encore, en 1754, l'aile qui maintenant touche le n° 23.

Or, ce n'est pas seulement au 21 que nous rencontrons, quai Bourbon, la famille Le Boulenger. Pierre-Charles de Chavannes, contrôleur général à l'extraordinaire des guerres, acquérait la dernière maison du quai, vers la fin de l'année 1768, des hoirs de Louis-Charles Le Boulenger, seigneur de Chaumont, conseiller du roi, maitre en sa chambre des comptes : deux de ces héritiers, sur trois, étaient encore maîtres des comptes. L'année de la mort du grand roi avait vu Louis Rillard, seigneur de Fontenay, abandonner l'hôtel à Lebrun, avocat, en échange d'une maison de campagne à Cormeilles, avec droit au banc dans l'église de ce village près Pontoise. Jean Rillard de Fontenay l'avait hérité de sa femme; celle-ci était fille de François Levau, architecte ordinaire des bâtiments du roi et de Mademoiselle, auteur de l'édifice qu'il avait habité et laissé dans sa succession. François avait pour frère Louis Levau, architecte de l'hôtel Lambert et directeur des bâtiments du roi ; de plus, il demeurait tout près de Philippe de Champagne, peintre de Sa Majesté, comme on verra plus bas ; d'où il suit que si les artistes habitant maintenant l'île Saint-Louis croient y avoir uniquement succédé à des robins, l'erreur ne fait pas doute. Il est vrai que les arabesques et les médaillons qu'on retrouve au premier étage, dans le salon, datent seulement du règne de Louis XV ; mais une plaque de fonte fixée dans la cheminée dudit salon porte le millésime 1659. La famille Lecoq a été adjudicataire de cette maison-frontière, dès le 9 floréal an IX, par suite de licitation entre les deux fils de Charles de Chavannes.

Que si la pénultième propriété du quai Bourbon appartient au maire de Montreuil, descendant du poète Rotrou, qui lui-même administrait si noblement une ville, elle a d'intéressant, en outre, ses rapports d'origine avec l'hôtel Levau, et voici comme Dublet, juré du roi, vendait le 16 novembre 1657, au prix de 22,654 livres, tant à François Levau qu'au maître-maçon Charles Thoison, son beau-frère, une place à bâtir de 227 toises, dans l'ile Notre-Dame, à la pointe du pont Saint-Landry, place tenant d'un côté à celle de Champagne, peintre ordinaire du roi, et à celle de Buisson, menuisier, et de l'autre côté faisant face au quai Bourbon, etc. Ce lot appartenait au sieur Dublet, comme faisant partie d'un terrain à lui adjugé par les successeurs de Marie aux termes d'un contrat signé d'Aunoult ; des murs de fondation y existaient déjà quand l'adjudicataire s'en était dessaisi, A Thoison, qui était de moitié avec son beau-frère, il échut de quoi bâtir le n ° 51.

Au reste, sur le quai dont nous nous occupons, les liens de parenté entre insulaires donnent à leurs maisons l'air de famille ; l'isolement n'y est qu'accidentel. Le gendre de Levau, que nous vous citions tout à l'heure, est le père de Louis Hubert Rillard de Fontenay, maître-d'hôtel du roi, qui a laissé le 49 à Maussion de Candé, son fils de Maussion, l’un seigneur de Candé et conseiller au parlement, l'autre, seigneur de la Frizelière et gendre, mort conseiller au grand-conseil en 1758. Les membre du grand-conseil comme son père, ont vendu le 4 juillet 1767 à Jacques Poirée, joaillier, deux maisons en face du pont de bois, joignant l'une l'autre, occupée l'une par Constantin, procureur au parlement, et l'autre par le sieur de Blanzac. Les numéros de ces deux maisons juxtaposées sont aujourd'hui 49, 45, car le n° 47 a disparu à tout jamais : c'est une échoppe d'écrivain public, à roulettes, qui répond pour le chiffre absent.

On peut croire, qui plus est, que le n° 43 a fait trio avec les deux autrefois réunis, et que des dépendances s'y ajoutaient er.core par-der rière. Son escalier à balustres de bois s'éclaire sur une cour banale, qu'un petit mur divise en plusieurs cases, lesquelles rayonnent autour d'un puits commun, Au lieu de s'égayer de palier en pulier, la, vue dont on jouit en montant, par les échappées qui s'y superposent, finit par être à l'ex cès pittoresque. Ces derrières d'hôtel, qu'ils aient appartenu ou non à un maître-d'hôtel royal, abusent de ce que les ordonnances concernant l'entretien externe regardent seulement les façades ; on néglige dans le font jusqu'à l'échenillage : trop de mousse grimpante sur des murs décrépits et pas assez de vitres aux fenêtres, voilà un double signe d'abandon qui devrait être justifié par la lépre ! En 1792, le 43 avait pour tenants à l'orient un immeuble au citoyen Vitard de Passy et de l'autre côté un immeuble à la citoyenne veuve de Jacques Poirée, sur le quai de la République, dans l'ile de la Fraternité.

Napoléon, dès le Consulat, fit appeler d'Alen çon ce quai, qui, après lui, reprit son premier nom ; mais alors Vitard de Passy habitait une autre ile, celle de la Réunion ; il vendait, par procuration, à des merciers de la rue Saint-Denis, les sieurs Ducatel et Mercey, la maison qu'il tenait de sa femme, veuve en premières noces de Monguillon, fils décrassé d'un procureur au Châtelet.

Au nom de la République également a eu lieu, le 24 floréal an VII, l'adjudication régulière du fonds, tresfonds, propriété, superficie et jouissance d'un grand immeuble touchant celui de Vitard de Passy, au profit de la citoyenne Marie-Adélaïde de Loynes, veuve de François-Auguste Le clerc de Lamotte, propriétaire antérieurement. Ce bien se composait du n° 39, que des réparations ont rajeuni du haut en bas, et du 37, dont la vieille porte est encore piquée de fer. En 1774, la même propriété, placée sous la censive de l'église de Paris, s'était vue l'objet d'un litige entre le marquis de Bonneval et Marguerite Fré zeau de la Frizelière, son épouse, non commune en biens, Le nom pimpant et frisque de la noble dame nous rappelle qu'un de ses parents contracta hymenée avec la nièce du poète Le Roy, auteur de ballets et d'opéras, et que leur fille fut mar quise de Persan ; quant aux Bonneval, voici leur armes : « d'azur à un lion d'or, armé et lampassé de gueules ; support : deux griffons d'or. » Bien que l’union fût assez assortie, ne nous étonnons pas que, sous leurs pieds, ait levé la graine processive qu'y avait semée à pleines mains le propriétaire précédent, procureur au Châtelet ayant nom maitre Pierre Roy.

Lorsque les plaideurs hésitaient à passer l'eau pour élire domicile chez ce procureur insulaire, il s'intentait des procès à lui-même, d'abord pour ne pas déroger. Exemple : une de ses deux mai sons (le 37), dont il a en partie démoli l'édifice, pour le mieux rétablir, et agrandi le jardin, se trouve décrétée, au commencement de 1695, à la requête de son confrère Barbier, qui l'a saisie pour en faire le gage d'une faīble créance. Donc les criées ont lieu sur les marches de l'église Saint-Louis, et tous les paroissiens de s'apitoyer sur le désastre qui menace un des leurs. Oh ! que les bonnes gens sont déjà bêtes en ce temps là ! Le décret n'est qu'un leurre imaginé à bon escient par ce matois de procureur, qui tient à passer pour gêné, et la preuve en existe parmi les titres de propriété, dans la contre-lettre suivante :

« Je soussigné, procureur en parlement, reconnois que quoy qu'il paroisse par un projet de sentence que Monsieur Roy, procureur en la Cour, mon con · frère, me doive la somme de 500 livres, portée en la promesse y inentionnée, néaomoins la vérité est que je n'ay point de promesse de luy et qu'il ne me doit aucunes choses, ne luy faisant que prester mon nom, pour, à na requête, ifaire prendre un décret volontaire sur - lui de sa maison qu'il a acquise de la veuve et des héritiers de M. du Corroy, au moyen de quoy la sentence qui interviendra en conformité du projet ne pourra avoir aucun effet à mon égard. Fait ce décembre 1994. BARBIER.

François du Corroy, secrétaire de la chambre du roi, a en effet cessé de vivre lorsque sa maison fixe l'attention de trois honnêles procureurs, Monguillon, Bourjot, Roy, brelan d'amis qui se servent de prête-nom l'un à l'autre pour déprécier, surenchérir, acheter ou revendre dans l'ile ce qu'ils y trouvent disponible, et Roy se fait, aider par ses deux acolytes pour amener l'opération à bien. Un peu avant cette mutation, la veuve ou la seur du défunt administre la propriété, lorsque les syndics-directeurs qui ont succédé á Marie remplacent la rente, originairement garantie à ce dernier sur chaque maison, par une contribution forcée de 8 livres par toise une fois, payées et pour libération définitive (année 1693). En remontant enfin à l'origine de la construction, on rencontre Bertrand du Corroy, juré-mesureur de grains, père de François. Un devis notarié, qui se retrouve aux pièces, a été disposé en 1640 et témoigne de la prud'hommie de Du Corroy, tenant à prévcir au juste la dépense ; seulement un des maçons ne sachant pas signer son nom, on lui a demandé une croix, et il a dessiné un marteau, qui conclut mieux, vu la nature de l'acte. Le 39, il est vrai, n'a pas eu le même fondateur que le 37 ; quatre ans après avoir pendu sa première crémaillère, le juré-mesureur s'est arrangé de l'autre bâtiment avec un conseiller au parlement, Michel Parrua.

Le citoyen Courmont disposait en l'an VII du n° 35, où avait résidé en 1789 M. Hermant, ministre du prince évêque de Spire. Au milieu du même siècle, un conseiller au grand-conseil avait eu également ses pénates sous ce large toit ; c'était Choppin de Gouzangré, qui depuis longtemps aussi remplissait la charge de premier président à la cour des Monnaies. Le père du président avait été lieutenant-criminel, et son fils, Charles-Etienne, entrait au parlement avec la qualité de conseiller en 1751. L'hôtel n'a pas porté, que nous sachions, le nom de cette famille, originaire de l'Anjou, qui pouvait bien n'en être qne locataire. Des sculptures et un balcon décorent sa façade; quelques peintures qui ont passé le temps où la mode les traitait de surannées, font dessus -de -portes à l'intérieur.

Cette épée flamboyante d'archange qui a chassé Adam du paradis terrestre semble s'être allongée, tordue en arabesque, pour aider, au contraire, depuis plus de deux siècles, à monter l'escalier du n° 33, dont la splendeur déchoit évidemment depuis que la marquise de Nesles n'y est plus, en d'autres termes, depuis la fin du règne de Louis XVIII.

Quel beau morceau ensuite que la porte du 31, toute lardée de gros clous à tête ! La maison attenante est ferrée d'une rampe d'escalier comme on ne saurait plus en battre ; elle aidait à monter, en 1750, messire Roualle de Boisgelou, non pas à des honneurs (Boisgelou était déjà membre du grand -conseil), mais tout bonnement à son appartement. Saluons dans le 25 un des doyens de l'ile Saint-Louis, on dit que ce fut un des hôtels du duc de Nevers, neveu de Mazarin. Comme le 9 appartient à M. de Gheldre, nous voilà obligé de renvoyer notre lecteur au n° 34 de la rue Bourbon-Villeneuve, dans notre publication même : ce multiple propriétaire ne reçoit de bonne grâce ses locataires eux-mêmes que le jour du terme.

Au reste, en se rapprochant de la rue des Deux-Ponts, les façades du quai changent d'aspect ; leurs portes, qui sont bâtardes, font ressortir l'ampleur des autres, qui convenait si bien à la grande robe. Finissons-en par le n° 1, dont l'allée, basse et l'escalier sans rampe, se font jour avec peine à travers une bâtisse portant assurément deux siècles, mais magnifique encore de suffisance, comme un gueux qui s'en va drapé de son manteau remis à neuf ; pourtant, que dis-je ! dans le nombre des gens qui franchissent son allée basse, ses degrés inégaux, il en est qui soupirent après un lit dressé dans une maison encore plus modeste : c'est un bureau de placement.

Notice écrite en 1858. La démolition est postérieure des nos 33, 35, 37, 39 et 55 du quai Bourbon, qui ont livré passage à une rue de traverse dans l'axe du pont Louis-Philippe. Cette rue sans maisons garde jusqu'à présent l'anonyme.